Je suis féministe. Je suis une femme, hétérosexuelle, monogame. Et je suis féministe. Ce n’est pas un hobby, ce n’est pas un gros mot, ça me définit. C’est ainsi. Je ne suis pas parfaite, il m’arrive de mal parler d’autres femmes, de les juger, mais j’essaie, le plus possible, de les soutenir. D’être là pour elles, de leur tendre la main et surtout, de défendre leurs droits. Nos droits. Mes droits. Et de faire du bruit, beaucoup de bruit, pour que tous ceux qui ne sont pas féministes, tous ceux qui ferment les yeux, qui mettent des œillères, qui ne veulent pas voir, pas entendre, essaient. Comprennent. Assimilent. Que certains comportements ne sont pas ok. Certaines phrases non plus. Que notre genre ne devrait pas créer une différence de traitement. Et que les hommes ne devraient pas décider à notre place.
Je suis féministe, mais je ne l’ai pas toujours été. Pendant très longtemps, pour moi, c’était un gros mot. Quand j’étais au lycée, on ne nous parlait pas d’égalité homme-femme. D’ailleurs, comme j’ai déjà pu l’écrire, je ne voulais pas d’égalité, je voulais être aimé, désiré, admiré par les hommes.
A 18 ans, quand ma copine de fac, qui était déjà bien plus ouverte aux questions de genres et de féminisme que moi, se lançait dans des tirades sur les mauvais comportements de nos camarades d’amphi, je roulais des yeux. Je me disais qu’une blague potache ce n’était pas si grave, qu’un mec qui insiste pour t’embrasser en soirée, c’est juste à cause de l’alcool. Et je pensais très fort : “Qu’est-ce qu’elle est chiante, Juliette, avec son féminisme” (Juliette si tu passes par là, désolée d’avoir pensé ça et merci d’avoir continué de parler fort et d’essayer de nous faire rentrer tout ça dans la tête. Tu as participé comme tu as pu, à ouvrir mes yeux sur ces questions). À ce moment-là, c’est ce qu’on disait, ce qu’on lisait : le féminisme c’était chiant, c’était un truc pour les meufs qui voulaient être seins nus durant les manifs. J’étais jeune, bien bête, mais surtout ignorante.
Et puis il y a eu ce jour, où Twitter, un réseau social que j’utilise quotidiennement, s’est vu transformé en immense mur de témoignages. #MeToo était lancé, et venait chambouler le paysage médiatique. En octobre 2017, quand l’Affaire Weinstein a éclaté, je n’ai pas seulement compris, que le féminisme et l’union entre les femmes étaient indispensables. J’ai aussi découvert, que moi aussi, #MeToo.
Quand tu es une femme, tu grandis avec cette épée de Damoclès au-dessus de ta tête qui te rappelle, qu’il peut un jour t’arriver quelque chose. Mon père, attentionné et plein d’amour, m’a toute ma vie répété “fais attention”. Dans la rue, dans les transports, dans les soirées, dans les bars, dans les boîtes de nuit, dans la vie, ma fille, fais attention. Mais attention à quoi ? Il m’a toujours dit “garde tes antennes en l’air”, comme si j’étais une fourmi. Parce que quand tu es une femme, tu peux te faire écraser comme une fourmi, par le bon vouloir d’un homme.
Je ne veux pas entendre de “not all men” par ici. Je sais. Je sais qu’il existe des hommes bons. Grand dieu, merci, heureusement, quelle tristesse serait ma vie d’hétérosexuelle autrement. Il existe des hommes bons, mais il y a aussi, une sacrée quantité de grosses merdes.
Aussi bien avant qu’après 2017, j’ai écouté la quasi-totalité de mes amies me raconter. Agressions sexuelles, harcèlement au lycée/à l’université/au travail, viols, insultes en traversant les rues de Montpellier comme de Paris, exhibitionnismes et j’en passe.
Mes premiers mois à Paris, 22 h, un homme harcèle une fille dans le métro. Il insiste, elle semble mal à l’aise et effrayée. Personne ne réagit. Jusqu’où peut aller une telle situation ? Lèvera-t-il la main sur elle ? Touchera-t-il son corps ? Mon mec de l’époque ignore complètement la scène qui se déroule sous ses yeux, tout comme les personnes présentes dans la rame. Tout le monde fait mine de rien. Peut-être que moi aussi, j’ai déjà fait mine de rien. Par peur, par flemme, par je-ne-sais-quoi. Mais ce soir-là, j’ai choisi d’agir. Je me suis approchée d’elle et j’ai fait semblant qu’elle était une amie perdue de vue, sur laquelle je tombais par hasard. Le harceleur s’est éloigné et je me souviendrais toujours du regard de cette fille qui devait avoir mon âge. Ce même regard que j’ai déjà posé sur d’autres femmes, celui qui signifie "merci, j’ai eu très peur".
Quand j’avais 16 ans, je prenais le bus à côté d’un chantier, où des hommes de l’âge de mes parents, travaillaient. Une fois, ils m’ont sifflé, ils m’ont hélé, comme si j’étais une bête, une brebis égarée qu’ils souhaitaient faire entrer dans leur enclos.
Pendant toutes mes années fac, lorsque je regagnais ma cité universitaire après une soirée, je marchais toujours très vite. Je baissais la tête quand je croisais des groupes d’hommes. Je mettais mes clefs en point américain, prête à bondir à la moindre ombre.
L’année dernière, on testait un restaurant du 16e avec une amie. Au moment de partir, 5 hommes attablés, la cinquantaine, nous arrêtent. L’un d’eux m’explique qu’il me trouve très charmante, il m’a repéré depuis le début de la soirée et il veut mon numéro. Je n’avais pas posé le regard sur cet homme une seule fois. Mais je me suis retrouvée debout au milieu d’un restaurant, face à lui et ses compatriotes, bien plus âgés et imposants que moi. En déclinant, tant bien que mal, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander quelles seront leurs réactions. Allaient-ils m’insulter ? Pire, lever la main sur moi ?
Mais ça ne s’arrête pas là. Il y a les rues qu’on n’empruntera jamais, étant une femme. Par peur. Il y a ce sixième sens, qui nous fait changer de wagon, quand on croise un homme qui ne nous met pas à l’aise et qui déclenche en nous un message d’alerte. Il y a cette habitude, de toujours dire aux copines “tu m’envoies un message quand tu es arrivée”. Et le cœur qui s’accélère, quand tu ne reçois pas le message.
Être une femme, c’est ça. Être une femme, c’est agir ainsi, c’est savoir regarder partout, analyser les situations. Choisir de rentrer en Uber plutôt qu’à pied, par crainte. C’est sentir des regards lugubres dès qu’on porte un short ou une robe. Quelques fois, c’est aussi mettre un jean, pour ne pas prendre de risque. Comme si, être soi-même, c’était courir un risque. Comme si c’était notre faute. Spoiler alert : ça ne l’est pas. Ça ne le sera jamais.
Jeune adulte, je me disais souvent que j’avais de la chance. Certaines de mes amies avaient été victimes d’agressions sexuelles et ce n’était pas mon cas. Je croyais que la chance avait quelque chose à voir là-dedans, comme si le viol, c’était le loto, un jour t’as les bons numéros, un autre jour, un homme décide d’abuser en toi.
Quand #MeToo est apparu sur un grand nombre de tweets, j’ai réalisé, que le viol, ce n’est pas un homme qui t’attaque dans une ruelle sombre, un couteau à la main, et qui prend possession de ton corps entre deux poubelles. Ça arrive. Mais les violeurs, sont en grande majorité des personnes que l’on connaît. 85 % des viols sont commis par une personne connue de la victime (enquête INED 2016).
J’ai aussi réalisé, qu’un homme qui insiste ce n’est pas ok. Et que mon consentement, il n’avait pas été respecté.
9 femmes sur 10 déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel. Dans 88 % des cas, c’est arrivé plusieurs fois. 49,1 % des répondantes déclarent avoir déjà entendu des remarques dévalorisantes sur le fait qu'elles n'avaient pas envie d'avoir des rapports sexuels. (Source : NousToutes.org)
A 18 ans, j’ai fait ma première fois avec un mec pas ouf, c’était d’ailleurs pas ouf, mais j’étais consentante. Quelques semaines après, j’ai pratiqué le sexe oral, alors que je ne voulais pas. Simplement pour qu’il arrête d’insister. J’ai cédé, je n’en avais pas envie, j’avais même plutôt peur ne sachant pas vraiment comment faire. J’étais mal à l’aise, il me répétait inlassablement des phrases, dans le but de me convaincre. Des phrases qui me rendaient honteuse. Il a continué ainsi, jusqu’à ce que je cède. Jusqu’à ce que les moqueries l’emportent. Je ne voulais pas, mais pour qu’il arrête d’insister, j’ai cédé. Je n’étais pas consentante.
Et en 2017, j’ai compris que #MeToo. Moi aussi, je n’avais pas eu de chance. Et que finalement, la chance n’avait vraiment rien à voir là-dedans. Je ne faisais pas partie du club, j’étais une victime, un pourcentage de plus, une femme de plus abusée par un homme.
Je ne raconte pas cette histoire pour qu’on me plaigne, je vais très bien. Ça n’a pas toujours été le cas. J’ai mis de nombreuses années avant d’être ok avec ma sexualité, avant d’élargir mes horizons et d’être à l’aise nue devant un homme. Tout roule dorénavant, l’éducation aide beaucoup (vive les comptes Instagram d’éducation sexuelle et les livres).
J’en parle parce que c’est une des nombreuses raisons, qui me pousseront à être toujours plus féministe. Peut-être que si on passait un peu moins de temps à répéter aux filles de faire attention et qu’on éduquait plus les garçons sur le consentement, ces chiffres baisseraient. Alors j’ai décidé de le faire. Pas d’éduquer hein, je ne suis la mère de personne, mais depuis, je suis, pour certains, une féministe chiante.
Celle qui saoule, pendant les repas de famille. Celle qui lit Mona Chollet dans le métro, celle qui essaiera toujours d’expliquer que certains comportements ne sont pas normaux, que oui, à l’époque peut être que les femmes se forçaient pour faire plaisir à leur mari, mais que ça n’a jamais été ok et que oui, le viol conjugal existe. Celle qui soutiendra toujours la parole des victimes, parce que si on remet notre parole en cause, on n’osera plus jamais parler.
Aussi parce que si les victimes n’avaient jamais témoigné, j’aurais continué d’ignorer. J’aurai juste détesté une pratique sexuelle, sans vraiment savoir pourquoi. Sans réaliser qu’en fait, tout avait commencé d’une façon traumatisante. Et que le sexe, c’est quelque chose de chouette et ça devrait toujours être fait dans le respect.
Le consentement c’est sexy oui, mais c’est surtout indispensable. Pour une sexualité épanouie, un moment qui se passe bien, il suffit… de parler. Est-ce que je peux faire ça ? Ça te plaît ? Est-ce que tu veux qu’on fasse ça ? Tu veux arrêter ? Tu en as envie ? Je peux te toucher ici ?
Il n’y a que comme ça que les choses changeront. Qu’avec les mots. En parlant, en témoignant, en débattant, encore et encore, peut-être que ça avancera. On arrêtera d’avoir peur : dans la rue, de mettre un short, de retrouver un match Tinder dans un bar, de prendre l’ascenseur avec ce collègue qui a mauvaise réputation… Je n’aurais pas l’audace d’espérer un jour un gouvernement féministe, mais j’espère, qu’à force de parler d’égalité et d’inégalité, ça finira par rentrer.
Un été, mon père m’a dit inquiet qu’il avait peur que mon féminisme m’empêche de rencontrer quelqu’un. Avec cette newsletter, je crois que c’est le pompon. Mais si elle fait fuir les cons, je n’aurais rien perdu. :)
J’envoie de l’amour et du soutien à toutes les femmes qui passent ici. Vous êtes fortes. Je vous crois.
Bisous,
Lauréna
Je conseille à tout le monde de lire En finir avec les violences sexistes et sexuelles - Manuel d'action, de Caroline de Haas. Mais aussi de parler, à ses potes hommes comme femmes, à ses parents, à sa famille. De parler de consentement, d’inégalité, de féminisme. Encore, encore et encore.
Le féminisme peut éviter de rencontrer et faire disparaître des grosses merdes, j’ai toujours été féministe en fait. Merci Maman, merci mes sœurs, merci ma femme, merci ma fille.🔥🔥🔥