Quand j’ai aménagé au passage Rochebrune, deux trois choses ont attiré mon attention. Tout d’abord, le lieu. Un passage verdoyant, oublié des voitures, à quelques mètres seulement des commerces les plus bobos du 11e arrondissement. Dans ce passage, j’ai d’abord remarqué la végétation, les portes colorées tout droit sortie d’Instagram et puis, j’ai été frappée, par le jasmin. Autour de cette porte grise, celle que j’allais pousser un sacré nombre de fois, se développait du jasmin.
Je crois au signe. Je crois que quelques fois, la vie met sur ta route des petits clins d’œil, que seul toi peut comprendre. Des coups de pouce du destin, qui te soufflent à l’oreille que tout ira bien. Que c’est le bon chemin, que tu n’as aucune raison de douter. Ça aurait pu être du lierre, mais non, il s’agissait de jasmin.
J’ai visité cet appartement, cette cabane du quatrième étage, où la vie est si douce, en juin 2020. Deux mois auparavant, commençait le grand confinement, celui qui nous a tous tourmentés. Celui dont je n’ai presque rien retenu. Mais j’ai retenu le jasmin.
Durant ces mois de confinement, mon père m’a appelé tous les jours. On n’avait pas grand-chose à se raconter. Nos coups de fil, certaines fois d’à peine une minute, comme d’autres d’une vingtaine, ressemblaient à tout, mais aussi à rien. Je prenais des nouvelles de mes tantes, qu’il avait eues au téléphone quelques heures avant. Je lui parlais de mes nouveaux challenges en yoga "aujourd’hui je suis montée sur ma tête et je suis restée deux minutes trente", de mon travail "et tu vois en fait, tu ne peux pas mettre tout ce que tu veux dans le compost" (j’écrivais toujours sur la rénovation/jardin à ce moment-là), mais aussi de mes occupations "donc là j’ai fait des cinnamon roll, tu sais des rouleaux à la cannelle. Sauf qu’en fait, la levure n’a pas pris, donc ça a goût à rouleau à la cannelle et à la levure et ça n’a même pas la texture de la brioche. Non, non ce n’est pas bon, mais bon je ne vais pas les jeter quand même”, mais aussi de mes activités “j’ai regardé la Reine des Neiges en faisant de l’aquarelle. C’était un peu plus joli qu’hier, mais bon c’est pas encore ça, mais ça détend. Demain, je vais me mettre à dessiner sur mon iPad, j’ai pas de stylet, mais j’ai vu sur Youtube qu’on pouvait en fabriquer un avec un coton tige”. Et si mon père me racontait la maison, les pâtisseries de ma belle-mère, les séries Netflix, il a aussi, énormément parlé de son jasmin.
A la fin de l’hiver, il a planté sur le balcon du jasmin. Cette plante qui l’a occupé entre chaque annonce d’Emmanuel Macron qui indiquait qu’on n’était pas prêt de ressortir de chez nous. Peut-être un jour sur trois, mon père me parlait du développement de son jasmin. La fois où il a grandi, le jour où il a fait des fleurs, et puis son odeur, lorsqu’il étend le linge. Le jasmin s’était invité en témoin discret, de mon confinement. Et le voilà, quelques semaines plus tard, suspendu au-dessus de cette porte qui allait devenir la mienne, comme pour m’accueillir. Bienvenue Lauréna, tu es chez toi maintenant. Rien ne pourra t’arriver ici.
C’est comme ça que j’ai su que cette porte grise serait la mienne. En sortant de la visite de l’appartement, j’ai partagé mon enthousiasme avec mon père et je lui ai énoncé les signes, l’odeur du jasmin et ses fleurs blanches.
Depuis, cette plante fait partie de mon paysage. Mais elle n’est pas la seule. Entre le passage et le métro, il y a cette rue aux deux intersections, que j’emprunte pratiquement tous les jours. Une véritable valse s’y est imposée. Au tout début, il y avait la famille parfaite : la trentenaire, son enfant dans la poussette et son shiba inu. J’ai reconnu le petit et le chien, lorsque c’est le père qui l’a amené à la crèche (l’enfant, pas le chien). Il y a le vendeur de plantes qui, chaque matin, sort ses étals sur le trottoir. Je ne sais jamais qui de lui ou de moi est en retard, mais il me sert aussi de marqueur temporel.
Et puis, sur la route, le long de l’église, il y a la Royal Enfield. J’adore les motos. Je ne sais pas si c’est mon côté petite meuf qui a toujours aimé les bad boys, le rock et les blousons en cuir, ou simplement si c’est parce que mon père m’a souvent trimballé sur sa moto, mais j’ai conservé cet amour pour les deux-roues. Dans le sud, au printemps ou durant l’été, les cheveux dans le vent, le soleil déclinant, j’adore traverser les villages, par des routes vallonnées et parsemées de vignes. Voilà un paysage qui s’est inscrit dans mon cœur et qui n’en disparaîtra jamais. Alors tout naturellement, le premier matin où j’ai aperçu cette Royal Enfield noire, je l’ai enregistré dans mon esprit. Puis le second matin, le troisième et ainsi de suite. Elle faisait partie du paysage du quartier. Elle était là pour rester.
Je me suis imaginée la vie de la Royal Enfield, tout comme je m’étais imaginée la vie du couple à l’enfant et au shiba (depuis quand sont-ils ensemble ? Est-ce un chien de confinement ? Où est-ce qu’ils étaient entre mars et juin 2020 ? Dans le quartier ou dans leur maison secondaire du Perche ?). La Royal Enfield a quelque chose de magique. Elle peut être là à toute heure du jour et de la nuit, pendant plusieurs mois et puis disparaître du jour au lendemain. Est-elle partie en voyage ? A-t-elle été vendue ? Est-ce qu'elle a subi un accident ? Un peu comme moi dans ce quartier, elle fait sa vie, elle fait partie du décor, jusqu’à ce qu’elle prenne la route vers je ne sais où.
Voilà plusieurs semaines que la Royal Enfield ne m’accueille plus matin et soir sur mon chemin pour le métro. Je m’interroge, cela doit sûrement avoir un rapport avec les vacances. La personne qui l’enfourche, a dû la prendre pour parcourir les routes de Bretagne. Mais d’ailleurs, qui peut bien être le propriétaire de cette moto que je cherche du coin de l’œil, chaque jour qui passe ?
J’ai tout d’abord imaginé un homme. La trentaine, brun, barbu. Le cliché de celui qui traverserait Paris au coucher de soleil, sur sa moto. Et puis, je me suis mentalement mise une claque, cesse donc avec ta vision genrée des choses Lauréna. Pourquoi est-ce que la personne qui possède cette moto devrait obligatoirement avoir un pénis ? Alors j’’ai pensé à une femme. Comme moi, elle se rapprocherait de la trentaine, serait un peu rock and roll. Elle aurait un casque à paillettes et mettrait un blouson en cuir qui a vécu. Sa Royal Enfield ne serait pas son principal mode de transport (on pense à l’écologie ici), mais elle s’en servirait pour s’évader le week-end ou en soirée. Cette moto serait son fidèle destrier, sa carte de sortie. Peut-être que récemment, en allumant le moteur, elle a fait le choix de quitter Paris pour continuer sa route. Elle a oublié le chemin bien tracé qui l’attendait, pour vagabonder entre les vignes, se perdre, se retrouver, tracer une nouvelle avenue. Les cheveux au vent, le casque à paillettes sur la tête. Le blouson en cuir sur les épaules. Et le sentiment de l’infini, celui qu’offre la route, celui qu’offre l’aventure.
Je n’ai toujours pas la capacité de conduire une moto (il suffirait pourtant d’un stage) et je ne sais d’ailleurs pas conduire un deux-roues à moteur #TeamVélo. Mais comme la Royal Enfield, moi aussi, je vais bientôt quitter le paysage du quartier. Le jasmin, la famille parfaite, le vendeur de plantes, l’église. Et chaque matin, chaque soir, chaque trajet le long de l’église, aux deux intersections, le long du parc, dans le passage, je capture tous ces petits détails, qui ont fait ma maison. Mon quartier. Mes repères. Je les enregistre, pour ne pas les oublier, le jour où je devrais me créer de nouveaux marqueurs du temps. Trouver de nouveaux détails, qui semblent insignifiants, mais qui forment, en réalité, le tableau de mon quotidien.
La rentrée signe le début d’un sacré lot d’aventures. J’ai honnêtement peur, mais je suis aussi consciente, que tout se passera bien. Je t’en dis plus bientôt.
Bisous,
Lauréna
Le jasmin va bien, heureux qu’il parfume ta vie de douceurs. ❤️ C’est tellement bien décrit, i love you.