J’écris ces mots depuis une piscine au bout du monde. Enfin, est-ce réellement le bout du monde ou seulement ma vision, de petite Française qui n’a quitté l’Europe qu’une seule fois ? Il n’empêche que cette île où il fait déjà très chaud le matin, m’apparaît comme un bout du monde que j’ai toujours voulu atteindre. Et bien m’y voici. Non sans encombre, avec un trajet qui me semblait infini et une perspective du temps qui ne répond plus de rien. Mais j’y ai gagné une paisibilité comme je n’en avais plus connu depuis longtemps.
Je suis assise dans la piscine et je bats des pieds. Comme à mon habitude, je ne sais ni méditer, ni rester inactive. Me voilà donc à repasser le film de ces dernières 24 heures.
J’ai décidé de voyager seule. On m’a répété, à maintes reprises, que j’étais courageuse. Je ne sais pas vraiment si je le suis, ni si c’est une qualité indissociable du voyage avec soi-même. J’ai choisi de voyager seule pour différentes raisons, et si peu à la fois. Je crois que ça s’est simplement ancré comme ça, dans ma tête. Je ne me suis pas laissée le choix, et j’ai juste écouté mon instinct. Je suis partie avec si peu de stress, que ça m’en a étonné. Pas d’insomnie, pas de boule dans la gorge, pas de noeud à l’estomac. A aucun moment, je n’ai douté, je n’ai pas ressenti la peur. C’est fou ! Je me suis mise dans des états pas possibles avant certains dates, mais là, alors que je m’apprêtais à traverser les continents, rien, je flottais. J’ai vraiment eu la sensation de flotter pendant plusieurs jours. Un peu au-dessus des nuages, un peu à l’aéroport de Singapour, et puis pouf, me voilà dans cet hôtel indécent, à faire des selfies au bord de cette piscine, pour le souvenir, pour dire que c’est vrai. Parce que c’est vrai, j’y suis. Je suis à Bali. Je suis partie. Toute seule. Aussi loin, pour autant de jours, toute seule. Avec moi-même. Par moi-même. Donc en fait, j’en suis capable. Et peut-être un peu courageuse.
La question de voyager seule, n’était pas une évidence. Certaines personnes ressentent ce besoin très tôt, dès 18 ans, elles prennent la route de l’aventure avec seulement un sac à dos, sans se retourner. Même si j’aime bien me la jouer loup solitaire, la meute qui m’entoure, n’est jamais loin. Pourtant, j’ai ressenti que c’était le moment. Ces espèces de pressentiments, de choses à l’intérieur de soi qu’on ne peut pas trop justifier. Ma tête m’a dit "on y va" et mes jambes sont parties. Mais voyager seule, quand on est une femme, ça peut faire peur. Je ne compte plus le nombre d’articles que j’ai lu, qui titraient "les pays les plus safe où voyager seule quand on est une femme", les pays les plus safe. Car quand on est une femme, on n’est pas en sécurité partout. Mais l’est-on réellement quelque part ?
J’en avais rapidement parlé dans ma newsletter sur #MeToo, mais globalement, je n’ai pas peur. Ni dans la rue, ni dans les transports. Pourtant, je sais, que c’est réel, qu’où qu’on aille, on peut se faire attaquer par des mots ou des mains. Je crois que comme je vis dans un quartier totalement bobo et tranquille de Paris, j’oublie un peu, je ferme les yeux et/ou j’ai trop d’espoir. Espoir qu’en tant que femme, je puisse être tranquille, peu importe où je vais. Bali fait partie de ces destinations sûres, on me l’a dit et redit, et ça m’arrangeait bien. Ça me faisait une raison de plus, pour ne pas avoir peur.
Néanmoins, les hommes sont partout. Les bons, comme les moins bons, et en me réveillant ce matin, je comprends pourquoi nombreuses de mes sœurs, ont peur de partir seule voir le monde.
C’était juste une phrase. Pour moi, elle était un peu lourde, un peu anodine. Dans mon quotidien, elle m’aurait donné des sueurs froides, mais ici, à l’autre bout du monde, je l’ai laissé couler. Elle m’est passée dessus, après 24h de voyage, plus rien ne pouvait m’atteindre. Je rêvais d’une douche, de me glisser dans un immense lit et de dormir. Alors franchement, j’ai souri, j’ai hoché la tête, et je ne m’y suis pas attardée.
Le chauffeur Grab (le Uber de Bali) qui m’a conduit de l’aéroport à l’hôtel, m’a parlé d’un restaurant. Il m’a dit, sur la route, que celui-ci était super et que si je souhaitais, je pouvais l’appeler et on irait ensemble. Il m’a laissé sa carte. Jusqu’ici rien qui ne pourrait trop me perturber, le serveur d’un super restaurant à Rome m’avait dit la même chose, sans la carte. La drague lourde n’a pas de frontière. Là où ça devient problématique ++, c’est qu’au moment où le chauffeur m’a déposé à l’hôtel, il m’a annoncé "maintenant que je connais le chemin de ton hôtel, tu m’appelles si tu veux que je vienne". Argh.
J’ai souri mal à l’aise. Et je suis partie. J’ai raconté l’histoire à quelques amis et je n’ai pas vraiment réalisé que la scène n’était pas normale. Sur l’échelle du sentiment d’insécurité, on se situe où là ? Au réveil, j’y ai repensé. Je me suis dit que si mon chauffeur Uber me déposait chez moi, à 3h du matin et me disait "ah bah je sais où tu vis, je peux venir te voir" j’aurais eu peur. L’effet vacances et la fatigue ont estompé tout ça. Mais j’ai compris, j’ai compris pourquoi les articles conseillent les femmes sur les destinations les plus sûres, j’ai compris pourquoi cet ami m’a recommandé de faire attention à moi, pourquoi elles sont nombreuses à ne pas oser. Pourquoi elles sont nombreuses à avoir peur. Pourquoi mon père veut que j’active ma localisation, au cas où.
Car encore une fois, le "cas où" existe. Et bordel, on n’est jamais tranquille nulle part ?
Sur une note plus positive, il fait chaud. Quand je suis arrivée à 3h du matin donc, j’entendais les vagues depuis ma terrasse. Cet après midi, j’ai un massage et je me sens déjà détendue. Je ne sais pas ce que je suis venue chercher ici, si je suis réellement venue chercher quelque chose. Après 24h de vol j’ai pensé que partir à l’autre bout du monde, c’était quand même un peu excessif. C’est loin, c’est fatiguant, c’est pas bon pour la planète. Et au réveil, dans cet immense lit, quand j’ai ouvert les rideaux, quand j’ai vu le ciel, les arbres, quand je me suis assise sur un transat pour boire un café, je me suis rappelée. C’est pour ça, pour ce sentiment de bien-être ultime. Pour déconnecter. Et pour l’aventure. Plus rien n’existe vraiment, ni le travail, ni les prochains mois, encore moins les dernières semaines. Il n’y a que l’instant. Le soleil, l’eau, la végétation, le chant des insectes, la chaleur sur ma peau, mon rythme cardiaque qui se calme.
C’est les vacances. Et je crois, j’en suis sûre, j’en avais grand besoin.
Je relis tout ça depuis le même transat, après une journée à absorber le soleil, à regarder les vagues partir et venir, à photographier les couleurs du ciel et à faire le poisson dans l’eau. L’océan de pensées qui occupe habituellement ma tête s’est calmé, lui aussi, il profite de ses vacances. Je ne sais pas trop si j’écrirais un épisode 2 de mes aventures balinaises, si c’est un one shot ou non. Je vais simplement continuer de flotter et laisser l’inspiration venir si elle le souhaite, sans pression (elle, elle est restée à Paris). Et pas d’inquiétude, je roule ma bosse sans encombre et je vais continuer pour les 16 prochains jours, avec ou sans chauffeur lourd, tout se passera bien.
Des bisous salés et du soleil,
Lauréna
et rendez-vous sur Instagram si tu veux voir mes aventures en images.
Très bien écrit, romancière en plus de journaliste. 🌺🥰🏄♂️